Compte-rendu du séminaire d’ouverture du 26 janvier 2018 à la Faculté de droit de Strasbourg

Le séminaire d’ouverture « Interstices de transnationalité et protection des droits humains », qui a eu lieu le 26 janvier 2018 à Strasbourg, a été l’occasion de présenter les hypothèses et objectifs d’un projet de recherche qui s’étalera sur un peu plus d’un an et qui portera sur des situations qui impliquent le droit international privé, le droit pénal et le droit social.

En introduction de ce séminaire, Juliette Lelieur a présenté les principaux enjeux et les différentes étapes du projet de recherche « Interstice(s) » qui, au-delà de son objet spécifique, consiste à croiser les analyses de plusieurs disciplines juridiques (social, privé, pénaliste).

Le projet de recherche sera ponctué de quatre journées d’étude se tenant au cours de l’année 2018.

• Première étape : Identification des interstices et construction d’une typologie

• Deuxième étape : typologie et évaluation des réponses (automne 2018)

• Troisième temps : ouvrage et colloque de restitution des travaux (2019)

Mélanie Schmitt, chargée de présenter le projet de recherche, a rappelé le point de départ de ce projet de recherche qui réside dans le constat d’une discontinuité dans la protection des droits humains. Cette discontinuité s’apprécie comme une conséquence de la forte mobilité des acteurs privés dans nos sociétés contemporaines. Le franchissement fréquent des frontières par les acteurs privés génère des situations qui mettent en jeu des relations transnationales entre personnes privées et qui, dans le cadre de ce projet de recherche, sont appelées « interstices de transnationalité ». La problématique qui en résulte s’énonce comme suit : les droits humains n’ont pas été conçus pour s’appliquer dans de telles situations. Pourtant, l’étude de la protection des droits humains ne peut se limiter aux situations nationales ou proprement internationales, mais doit désormais tenir compte de cet entre-deux « transnational ».

Mélanie Schmitt définit ce qu’il convient d’entendre par l’emploi du terme « transnationalité ». Si l’on adopte une approche « post-moderne » de l’État, il faut se rendre à l’évidence qu’il n’est plus le lieu unique de la protection des droits humains, c’est-à-dire que le territoire national n’est plus le lieu prioritaire de la mise en œuvre des droits humains et ensuite qu’il n’est pas l’unique porteur de l’obligation de respecter les droits humains et de les faire respecter. En effet, le développement accéléré des opérations économiques nationales et transnationales amène les acteurs à franchir régulièrement les frontières et génère ainsi des situations impliquant plusieurs acteurs responsables de la protection des droits humains.

Les situations transnationales désignent ainsi un ensemble de faits qui comprend le franchissement d’une ou plusieurs frontières par des personnes physiques ou morales. L’étude portera plus spécialement sur les franchissements à vocation commerciale ou économique, impliquant essentiellement le droit international privé, le droit pénal et le droit social.

La notion de droits humains appelle quelques remarques. Elle est employée dans le cadre de ce projet de recherche comme un synonyme de celle de « droits fondamentaux » ou encore celle « droits de l’homme ».

Il n’est pas question d’apporter ici une contribution théorique sur la notion de « droits humains » en ce qu’elle se distinguerait d’autres notions proches. Il s’agit d’abord d’inscrire le projet dans un contexte international. Pour ce faire, il est apparu pertinent d’employer une traduction littérale de l’expression anglophone Human rights. Ensuite, cet emploi trouve également une justification dans la conviction partagée par les porteurs de ce projet que la notion de « droit de l’Homme » en droit français est en décalage avec l’état et l’évolution des questions sur les rapports droit et genre.

L’emploi de la notion singulière d’intersticetrouve une justification dans l’idée que la protection des droits humains peine à s’adapter au monde « post-moderne » qui se traduit par un accroissement des échanges, des franchissements de frontières à vocation commerciale ou économique et qui crée des situations juridiques au croisement de plusieurs souverainetés. À ce stade, il convient de distinguer la notion d’interstice de celle de « vide juridique ». En effet, un « interstice » n’est pas nécessairement une absence de réglementation à laquelle il convient de remédier. L’interstice vise bien plus l’inadaptation du droit applicable aux situations transnationales.

L’approche méthodologiqueest présentée à travers l’énoncé des objectifs. Toutefois, avant de les présenter successivement, Mélanie Schmitt expose ce qui n’entre pas dans le périmètre du projet : ainsi, il n’est pas question de proposer de solutions opérationnelles aux situations juridiques transnationales ou inédites ; cette recherche ne s’inscrit pas dans une perspective positiviste. La démarche est davantage théorique.

Le premier objectif de ce projet est de dresser une typologie des interstices. Cette typologie implique de déterminer des critères pertinents permettant de faire émerger des catégories. Celles-ci devront tenir compte avant tout des types d’interstices et non des spécificités des trois disciplines.

Le deuxième objectif consiste dans l’évaluation de la pertinence des réponses apportées par le droit positif ou en doctrine pour combler ces interstices. Cette réflexion consistera également à déterminer s’il existe une correspondance entre les types de réponses et les catégories d’interstices.

Enfin le troisième objectif consiste à observer l’influence sur les disciplines. Il s’agira ainsi d’envisager les implications épistémologiques des interstices de transnationalité et des réponses qui leur sont apportées, en s’intéressant à la manière dont les disciplines sont affectées, perturbées, remodelées et repensées par l’appréhension de ces situations.

Dans l’ensemble, la méthode consiste à combiner les points de vue externes et internes au droit. Le point de vue externe implique d’adopter une certaine distance avec l’objet étudié et se rapproche ainsi d’une démarche sociologique, une démarche explicative des situations juridiques d’interstices. Le point de vue interne du droit (droit positif) nécessite dans ce cas une dimension transdisciplinaire. Le croisement des disciplines juridiques permettra également de mesurer les obstacles et résistances communs ou propres à chacune d’elles, ainsi que leurs interactions. Ce travail doit permettre d’évaluer ainsi la porosité des disciplines (solutions applicables à plusieurs disciplines).

II. Présentation d’un cas d’étude

Delphine Porcheron présente le cas d’étude, et les différents problèmes soulevés, dont l’objectif est d’expliciter de façon concrète les problématiques liées au projet de recherche (voir le PDF).

III.  Interventions et discussions

A. intervention de Patrick Wachsmann

M. Patrick Wachsmann a présenté l’intérêt de la théorie des obligations positives, construite très progressivement par le Cour EDH dès1978 et d’une manière beaucoup plus forte à partir du milieu des années 1990. Cependant, la prolongation des obligations positives dans les interstices de transnationalité reste encore délicate. L’étape à franchir est celle de créer à la charge des États une obligation de vigilance. Il faudrait donc étendre cette obligation de vigilance au-delà des frontières de l’État dès lors qu’il est confronté à une situation transnationale. 

B. Intervention de Horatia Muir Watt 

Lors de son intervention, Mme Horatia Muir Watt a insisté sur l’importance désormais des acteurs privés dans la protection des droits humains. En d’autres termes, les acteurs privés doivent être pensés comme des leviers, des agents de responsabilité, dans le domaine de la garantie des droits. Cette approche trouve une illustration concrète avec la loi de vigilance du 27 mars 2017 qui prévoit que les sociétés, qui emploient depuis deux ans plus de cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales, et dont le siège social est en France, établissent et mettent en œuvre un plan de vigilance. Il s’agit de responsabiliser les sociétés transnationales afin d’empêcher la survenance de drames en France et à l’étranger et d’obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et à l’environnement. 

Mme Muir Watt a également synthétisé de façon éclairante les dimensions structurantes de ce projet : une dimension juridique qui consiste à saisir les configurations complexes de ces situations transnationales ; une dimension éthique qui implique d’évaluer un système juridique à l’aune du principe de responsabilité collective ; et, enfin, une dimensionépistémologique qui doit nous conduire à penser les raisons pour lesquelles ses situations transnationales échappent aux différents droits étudiés, à établir une cartographie dynamique du monde juridique et les outils – non réductibles à une discipline – qui permettent de faire face aux situations transnationales.

C. Intervention de Dominique Ritleng 

L’un des constats qui ressort à l’issue de ce séminaire est que l’« interstice de transnationalité » n’est pas réductible à une absence de réglementation à laquelle il convient de remédier, autrement appelé un « vide juridique ». Cette notion a vocation à saisir, bien plus largement, l’ensemble des inadaptations du droit applicable aux situations transnationales. D’ailleurs, M. Dominique Ritleng, à partir de l’exemple de l’Union européenne, a montré lors de son intervention qu’un interstice peut résulter d’une profusion de normes ou d’un trop-plein de dispositifs de protection des droits fondamentaux. 

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Ce séminaire a été l’occasion enfin de présenter enfin les axes méthodologiques du projet. De façon générale, il sera question de combiner les points de vue externes et internes au droit. Le point de vue externe se rapproche d’une démarche sociologique en ce qu’elle implique d’adopter une certaine distance avec l’objet étudié et une démarche explicative des situations juridiques. Cela revient notamment à s’interroger sur le caractère accidentel ou non des interstices. S’ils sont structurels, les interstices servent évidemment des intérêts. Ils relèvent donc de la stratégie de certains acteurs qui ont intérêt au maintien de ces « trous ».

Le point de vue interne du droit (droit positif) nécessite dans ce cas une dimension transdisciplinaire. Le croisement des disciplines juridiques permettra de mesurer les obstacles et résistances communes ou propres à chacune d’elles, ainsi que leurs interactions. Ce travail doit permettre d’évaluer ainsi la porosité des disciplines (solutions applicables à plusieurs disciplines).

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